
Regard croisé employeur/agent : l’embauche d’un travailleur handicapé
IRA de Bastia
Monsieur Pizzorni, Secrétaire général :
Q Pouvez-vous nous présenter l’IRA ?
L’institut régional d’administration de Bastia a ouvert ses portes en 1980 suite à une volonté du gouvernement de contribuer au développement de la vie économique et intellectuelle de l'île. Il fait partie du réseau des 5 IRA comprenant Bastia, Lille, Lyon, Metz et Nantes.
“L’IRA a formé depuis sa création plus de 2 000 élèves fonctionnaires dont environ 150 exercent en Corse”
L’IRA a une double mission de formation initiale de fonctionnaires de catégorie A et de formation continue des agents de l'Etat, toutes catégories confondues. Au niveau de la formation initiale nous accueillons chaque année 120 à 130 élèves.
L’IRA de Bastia a compétence sur les régions PACA, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Aquitaine et Corse. Elle forme également des fonctionnaires des autres fonctions publiques dans le cadre du partenariat entre les 3 fonctions publiques dans l’ile et accueille de nombreuses manifestations.
L’IRA a formé depuis sa création plus de 2 000 élèves fonctionnaires dont environ 150 exercent en Corse, la plupart des élèves sont donc destinés à faire carrière sur le continent.
Au niveau d l’équipe, l’IRA est une petite structure de 27 personnes.
Q Comment gérez-vous les situations de handicap au sein de l’IRA ?
En tant que structure dédiée à la formation, nous avons une double entrée : pour les agents de la structure et pour les élèves.
Concernant les élèves, afin de pouvoir accueillir dans les meilleures conditions ceux d’entre eux porteurs de handicap, l’IRA a initié la mise aux normes d’accessibilité de l’ensemble de ses locaux. Le FIPHFP a d’ailleurs joué un rôle d’information et d’accompagnement déterminant par le biais d’une Convention Accessibilité signée en 2012. Financièrement, les aides du FIPHFP ont permis de financer environ 400 000 € de travaux sur les 700 000€ prévus au total dans le cadre du projet.
“Il ne s’agit pas de recruter une personne juste parce qu’elle a un handicap”
De manière ponctuelle, nous mettons également en place des mesures de compensation permettant aux élèves handicapés de suivre au mieux les formations ou de passer leurs examens dans des conditions optimales. Il peut s’agir à titre d’exemple de tiers-temps, de logiciel adapté en cas de handicap visuel, de boucles magnétiques ou même de la mise à disposition d’un assistant.
Concernant les agents, la loi de 2005 pour l’égalité des chances et la participation à la citoyenneté des personnes handicapées ainsi que la création du FIPHFP a permis une prise de conscience au sein de la structure. Il était essentiel pour l’IRA de jouer son rôle de responsabilité sociale et de s’inscrire dans un esprit d’exemplarité de la Fonction publique, et à plus forte raison parce que ce sont les valeurs enseignées aux étudiants et stagiaires qui viennent se former à l’institut.
Une attention particulière a alors été portée au recrutement d’une personne en situation de handicap au sein de l’équipe.
Une personne d’une cinquantaine d’année reconnue travailleur handicapé a alors été recrutée sur un poste de service informatique, initialement par le biais d’un contrat type CUI-CAE avec la prescription et l’aide de Cap Emploi, qui a été renouvelé chaque année pendant une durée de 5 ans. À l’issue de cette période, la personne a suivi 1 an de stage (ce qu’on appelle communément une stagiérisation) pour être titularisée en 2014, selon la procédure de l’article 38.
Dès l’entrée de l’agent dans la structure, un tuteur a été désigné et un plan de formation a été mis en place. Cet accompagnement a permis une intégration réussie et une montée en compétence en exact cohérence avec les besoins de la structure. Grace au CAE, nous avons pu prendre le temps de faire connaissance et de s’assurer que nos besoins étaient bien en adéquations avec les aspirations de l’agent. Avec cette expérience réussie tant du côté de l’agent que du côté de l’IRA, la titularisation apparaissait dès lors comme une évidence.
Q Pour vous quels sont les facteurs de réussites pour l’intégration d’un travailleur handicapé ?
Premièrement, il faut un véritable besoin et un recrutement qui en tienne compte, il ne s’agit pas de recruter une personne juste parce qu’elle a un handicap, la notion de compétences est importante et il faut que celles-ci correspondent réellement à un besoin de la structure. Ensuite, il faut une véritable volonté de l’employeur afin de pouvoir mobiliser un suivi et des moyens adaptés si nécessaire.

Témoignage agent :
Q Pouvez-vous décrire le poste que vous occupez actuellement ?
“...et puis un jour sur ma route j’ai croisé le cancer”
Je fais partie du service réseau informatique et logistique. Nous sommes 2. J’ai pas mal de choses différentes à faire … je fais office de webmaster : je gère le site internent et l’intranet, je fais une newsletter… je m’occupe aussi du réseau d’écran d’information de l’établissement, de toute la reprographie … je suis là où on m’appelle !
Je sers également de photographe de l’établissement… j’ai plusieurs casquettes, c’est ce qui fait le charme du poste !
Q Quel a été votre parcours avant votre entrée à l’IRA ?
Je suis rentré à l’IRA en 2008 et j’ai été titularisé au mois d’octobre 2014. Avant l’IRA, j’étais travailleur indépendant et je m’occupais de la région Corse au niveau technique et commercial pour l’entreprise SAFRAN … j’ai fait ça pendant 16 ans et puis un jour sur ma route j’ai croisé le cancer. Je me suis retrouvé à l’hôpital de Nice avec un diagnostic vital engagé. Chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie j’ai tout fait en un peu plus de 4 mois, je me suis retrouvé avec une trachéo dans la gorge, une sonde dans l’estomac … bref. J’ai donc arrêté mon activité en 2005. Puis j’ai décidé de reprendre une activité professionnelle une fois à peu près rétabli.
Je suis donc reparti de zéro, j’ai été frappé à la porte de Pôle Emploi qui m’a orienté vers la maison du handicap (MDPH) et celle-ci m’a envoyé chez CAP Emploi ou j’ai fait un bilan de compétence approfondi de plusieurs semaines. J’ai vu un psychologue, un psychiatre, la médecine du travail. Le bilan s’est avéré excellent… et ce n’est pas moi qui le dis comme ça. Dans le même temps, j’ai activé mon réseau personnel ce qui m’a permis de trouver ce poste à l’IRA.
J’ai voulu mettre toutes les chances de mon côté. Je garde un excellent souvenir du bilan de compétences. C’est très complet, ça a duré entre 10 et 12 semaines et les personnes de CAP EMPLOI sont très impliquées dans ce qu’elles font. Ce genre de dispositif est important, notamment pour maintenir la confiance en soi !
Q Comment s’est passée votre embauche à l’IRA ? Avez-vous eu besoin d’aménagements ?
“Lorsque l’on ne travaille pas pendant 3 ans la reprise n’est pas évidente”
J’ai eu la possibilité de démarrer sur un temps partiel, avec un contrat de 20h par semaine. A part ça, je n’ai pas eu besoin d’aménagement de poste particulier au niveau technique. Cela m’a permis de me réadapter au rythme professionnel, se lever le matin, tout ça… lorsque l’on ne travaille pas pendant 3 ans la reprise n’est pas évidente. Ce temps partiel m’a permis de reprendre le travail avec un maximum de confort … mais l’envie était là, et la volonté aussi !
J’ai suivi plusieurs formations, j’avais de bonnes connaissances au niveau informatique puisque c’était aussi mon métier d’avant, mais un peu moins au niveau des réseaux. J’ai également bénéficié d’une formation sur Photoshop. Mon collègue m’a aussi beaucoup aidé dans ma prise de poste.
Q Et au niveau contractuel, comment cela a-t-il pris forme ?
J’ai donc été embauché en contrat aidé pendant 5 ans (le CAE), le contrat était renouvelé chaque année. Pour sa mise en place, nous sommes passés par Cap Emploi. Comme je vous le disais j’ai commencé à 20h, puis à 26h jusqu’à un temps complet. Puis j’ai été titularisé à l’issue d’une période de stage d’un an, sans concours. J’ai fait une visio conférence avec des personnes de Bercy, notre ministère de tutelle.
Q Comment s’est passée votre intégration au niveau du collectif de travail ?
Formidable ! Mes collègues ont énormément facilité mon intégration. Encore maintenant d’ailleurs tout le monde est adorable avec moi, même au niveau de la direction et de l’encadrement. Je n’ai jamais eu de problèmes, bien au contraire.
Q Quel bilan feriez-vous de cette expérience ?
Cette expérience, c’est que du bonus. Mon entrée à l’IRA a vraiment été une chance. Je souhaitais vraiment reprendre le travail, c’était une nécessité pour moi d’avoir une activité, de garder du lien social par ce biais-là. Vous savez, beaucoup de personne m’ont demandé pourquoi « je m’embêtais à reprendre le travail », mais moi je n’ai jamais vu les choses comme ça, c’était vital pour moi.
Propos recueillis par François Le Saux-Mari