
Être alternant et autiste Asperger à la Mairie de Bastia : c’est possible !

Témoignage de Thibault Sciacca – Alternant à la Mairie de Bastia, en BTS Communication au Campus CCI Formation de Borgo
Q Pouvez-vous vous présenter et nous raconter votre parcours ?
Je m’appelle Thibaut Sciacca, j’ai 18 ans et j’en aurai bientôt 19. J’ai eu un parcours assez « désastreux » au début. Ma mère a su très tôt que j’avais un problème et j’ai très tôt été pris en charge. Toutefois, mon autisme n’a pas été diagnostiqué tout de suite. Mon syndrome Asperger n’a été découvert qu’à partir du moment où j’ai fait des crises d’épilepsie : je suis allé de structure en structure jusqu’à mes 11 – 12 ans. Le jour du nouvel an tout le monde trinquait, on m’a vu convulser, ma mère était paniquée : j’avais fait 2 crises d’épilepsie en une soirée.
“J’ai eu un parcours assez « désastreux » au début.”
Suite à cet évènement, nous sommes partis sur le continent, et une femme spécialisée dans l’épilepsie nous a dit ceci : « On arrête tout, on remet tout à zéro, votre fils est atteint du syndrome d’Asperger, on va l’orienter là, là et là. » J’ai donc été diagnostiqué Asperger pour mon plus grand bonheur * rire* … car il y a toujours la crainte d’être fou : nous sommes entourés par un tas de monde qui prend des notes, qui nous examine etc… il y a quelque chose qui cloche mais personne ne sait quoi. Là, pour la première fois on pouvait vraiment mettre un mot sur ma différence. Je suis rentré en Corse et j’ai été pris en charge par le SESSAD1 autisme, géré par l’association Espoir Autisme Corse à Biguglia.
Ma scolarité n’a pas été simple non plus : j’ai été harcelé au collège, poussé sur la route. L’exclusion a été très loin. Ce qui s’est passé, c’est que j’ai continué malgré tout : je suis entré au lycée du Fango, j’ai passé un bac littéraire. Je l’ai eu avec mention « Très Bien ». Cela m’a ouvert des portes. On a voulu m’orienter vers de longues études, et j’ai opposé un « non » catégorique. J’étais doué pour l’écriture, pour la création. Je me suis orienté vers le campus CCI formation pour faire un BTS Communication, en alternance à la Mairie de Bastia. Et aujourd’hui je me dis : « Mon Dieu, j’ai fait le bon choix ».
Dans cette organisation, là où je travaille et au Campus CCI Formation, toutes mes difficultés sont prises en compte… vraiment toutes. On va me parler, on va surtout écouter ce que j’ai à dire. Il y a une entente et une compréhension que je n’ai jamais vécue auparavant. Mes remarques sont écoutées et on améliore en permanence la situation. Il y a un dialogue bienveillant. Je suis persuadé d’avoir fait le bon choix.
Certes le BTS est difficile. Un BTS en alternance c’est une formation très carrée alliant la théorie et la pratique. J’ai le sentiment que cela me permettra d’aller loin. En réalité, j’ai le sentiment de profiter vraiment de la vie depuis mon entrée dans les études supérieures.
Q Quelles sont les difficultés que vous évoquez et qui font l’objet de cette prise en compte que vous décrivez ?
Je suis très stressé, je suis un faux calme, je peux « psychoter » pour un rien. Pour peu que je ne sois pas écouté, la peur du rejet peut me submerger – c’est aussi lié à mon expérience bien sûr – j’ai peur de mal faire, j’ai très peur de l’échec. On pourrait résumer tout ça en un mot : anxiété. J’arrive justement à la canaliser petit à petit, grâce aux différentes prises en charge : grâce au SESSAD, au SAMSAH2 et à mon travail.
Q Pouvez-vous nous en dire plus sur votre poste au sein de la Mairie de Bastia et sur la manière dont vous avez été embauché ?
Nous avons envisagé ce projet en concertation avec les différents acteurs de mon accompagnement qui ont travaillé ensemble, de manière transversale pour le définir et le réaliser : le SESSAD, mes parents, Cap Emploi et moi-même.
Nous avons ensuite sollicité la Mairie qui a accepté de nous recevoir. La DRH m’a reçu et j’ai pu visiter 2 services : le service communication et le service Bastia Cultura pour lesquels j’ai vraiment eu un coup de cœur. Puis j’ai choisi le service communication : je considérais que l’activité serait plus concordante avec ma formation.
“Nous avons envisagé ce projet en concertation avec les différents acteurs de mon accompagnement qui ont travaillé ensemble”
Je fais beaucoup de revues de presse, j’écris des articles notamment celui sur le salon du chocolat, je réalise quelques interviews. Je fais beaucoup de travail de recherche car j’ai un esprit qui peut aller très loin dans la rédaction, mais qui peut également être très synthétique.
J’interviens également sur un projet à long terme pour lequel je dois établir la stratégie de communication, mais je ne peux pas en parler pour le moment pour des raisons de confidentialité. En tout cas, ce travail « fil rouge » sera un élément de validation pour ma formation, comme un « passeport professionnel » que je devrai présenter.
Q Quelles sont les conséquences de votre handicap dans votre travail au sein de la Mairie, y a-t-il des mesures de compensation mises en place ?
Oui, notamment vis à vis de la fatigue, j’ai le droit à beaucoup de pauses. En fait je peux fournir un travail très intense pendant un certain laps de temps mais j’ai une grande fatigabilité. La Mairie prend cela en compte, parfois même, ils s’en aperçoivent avant moi et ce sont eux qui tirent la sonnette d’alarme et qui me disent « bon maintenant tu t’arrêtes, tu te poses ». Vous imaginez ? C’est pour ça que je dis que je suis bien tombé ! J’apprends à gérer mon rythme grâce à eux. Donc il s’agit surtout d’aménagements en termes de rythme et d’horaires : je peux parfois partir un peu plus tôt ou arriver un peu plus tard en fonction de mon état.
Dans le cadre des interventions du FIPHFP, je bénéficie également d’un transport adapté pour me rendre au CFA, car celui-ci n’est pas desservi par les transports en commun. J’ai également une lenteur pathologique au niveau de l’écriture, donc une personne m’assiste au CFA pour prendre des notes ou pour écrire.
“Je peux fournir un travail très intense pendant un certain laps de temps mais j’ai une grande fatigabilité”
Quant à la Mairie, une étude de poste est en train d’être conduite grâce à Cap Emploi par M. Picot, ergothérapeute, afin d’évaluer les besoins éventuels d’aménagements techniques.
En parallèle je suis toujours accompagné par le SESSAD qui prend en charge les personnes jusqu’à 20 ans, et je vais bientôt passer au SAMSAH nouvellement créé, qui est en quelque sorte son prolongement.
Q En quoi consiste l’accompagnement du SAMSAH ?
J’ai souvent des idées, j’ai de l’ambition mais je ne sais pas toujours comment faire. Parfois il m’arrive de commettre des maladresses d’ordre relationnel, des choses qui ne vont pas être bien comprises. Nous travaillons beaucoup sur ça. Ils font une espèce de coaching, tant sur le plan professionnel que personnel afin que je puisse petit à petit gravir les échelons de l’autonomie.
Q Quels sont vos projets dans l’avenir ?
J’aimerais intégrer la Fonction Publique en servant ma ville, mais dans tous les cas mon but serait de prouver, par le fait que j’occupe un poste, que tout le monde a ses chances. On est quand même dans une ile où il existe des clichés et où on pense savoir ce qu’est le handicap …mais sans trop le connaître.
Ensuite, au niveau personnel, j’aimerais être un jour écrivain et pouvoir être édité.
Q Pour conclure, avez-vous un message à faire passer ?
Je voudrais dire qu’avant d’être autiste, d’être « Asperger » ou d’avoir un syndrome, on est surtout un individu qui a peut-être une particularité mais qui ne se résume pas en un handicap. C’est très important. Cette particularité, j’en suis porteur et elle est effectivement assez conséquente, mais elle ne me résume pas.
Elle va être source de stress, mais également de choses positives. Par exemple : j’ai déjà écrit une pièce de théâtre en 9 jours, ou une autre entièrement en vers. On peut dire que j’ai des capacités rédactionnelles, artistiques et analytiques qui sortent de l’ordinaire. On dit aussi que les personnes autistes n’arrivent pas forcément à bien lire les émotions. Pour ma part, j’ai effectivement dû acquérir cette faculté. Elle n’était pas innée, mais justement : en la travaillant je pense que j’arrive maintenant à mieux comprendre les autres comparé à beaucoup de personnes dites « ordinaires ».
Propos recueillis par François Le Saux-Mari