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Regards croisés

Isabelle Feliciaggi, conseillère municipale déléguée au handicap et à l’accessibilité et Sabine Ferrali, chargée d’insertion à l’ADAPEI

Isabelle FELICIAGGI, Conseillère Municipale Déléguée au handicap et à l’accessibilité

Q La Mairie d’Ajaccio s’engage pour l’intégration des personnes handicapées dans le monde du travail. Vous êtes en passe de conclure une convention avec le FIPHFP et menez déjà de nombreuses actions en termes de recrutement et de maintien dans l’emploi ? Quels sont les fondements de cet engagement ?

Œuvrer sur tous les champs de la vie sociale et à tous les âges pour l’inclusion des personnes en situation de handicap

En premier lieu, je souhaiterais souligner que notre engagement dépasse largement le cadre de l’emploi. En effet, tout part d’une volonté politique de notre majorité d’œuvrer sur tous les champs de la vie sociale et à tous les âges pour l’inclusion des personnes en situation de handicap. Ainsi nous avons mis en place et financé des prises en charges adaptées et innovantes pour les enfants (formation des personnels de crèches aux différents handicaps, création d’un « centre de loisirs inclusif » encadré par des éducateurs spécialisés, financement d’AVS dans les cantines).

Tout ceci en collaboration avec la CAF et l’Éducation nationale. Parce qu’il est une évidence qu’il faut partir de la petite enfance pour permettre une meilleure autonomie des personnes en situation de handicap dans leurs vies d’adultes. Nous devons montrer l’exemple, le service public est destiné à tous et nous le prouvons.

Q Vous êtes un des seuls employeurs publics en Corse à faire travailler des personnes handicapées provenant de l’ESAT en détachement dans votre structure. Pouvez-vous nous expliquer le principe de la mise à disposition (MAD) et comment cela prend forme à la Mairie d’Ajaccio ?

Offrir le meilleur cadre possible pour une bonne intégration de la personne au regard de ses aspirations, de ses besoins spécifiques, mais aussi des nôtres

Au départ c’est la direction de l’ESAT qui nous a sollicité, expliquant que c’était le souhait des usagers de sortir de ce milieu protégé pour travailler dans un autre cadre. Nous avons aussitôt pensé que cet échange allait également être bénéfique pour les agents du service public. Nous avons donc travaillé sur nos possibilités d’accueils, en adéquation avec les métiers qui existaient déjà à l’ESAT afin de trouver la place la mieux adaptée pour la personne à accueillir. Tout ceci en étroite collaboration avec la chargée d’insertion de l’ESAT. Le but : éviter l’inconnu qui pourrait provoquer du stress et la crainte de décevoir, et offrir le meilleur cadre possible pour une bonne intégration de la personne au regard de ses aspirations, de ses besoins spécifiques, mais aussi des nôtres.

Nous avons donc accueilli une première personne pour l’entretien des espaces verts qui travaille avec nous depuis maintenant 6 ans (et qui a été embauché par la Mairie). Nous avons ensuite renouvelé cette initiative en faisant une autre MAD pour un travailleur à l’entretien de la voirie, depuis maintenant 2 ans.

Q Quels sont les moyens de compensation mis en œuvre pour permettre aux travailleurs de l’ESAT d’exercer à la Mairie ?

Prenons l’exemple concret de la formation professionnelle exercée dans le cadre de l’apprentissage scolaire. Les adolescents ne sont jamais livrés à eux même. Ici c’est pareil. Un partenariat de confiance est créé entre la personne, le référent au sein de l’ESAT et le référent désigné à la Mairie qui est attentif aux besoins et à l’intégration du travailleur. En fait, il s’agit surtout de besoins en encadrement.

Dans certains cas des aménagements du temps de travail peuvent être réalisés, comme le travail à mi-temps ce qui facilite aussi l’encadrement. Au niveau technique, Il n’y a pas eu de besoin d’aménagements particuliers.

Q Comment s’est passé l’intégration des travailleurs dans les équipes ?

L’intégration a été un partenariat gagnant-gagnant

On peut dire que l’intégration a été un partenariat gagnant-gagnant : l’épanouissement du travailleur d’un côté mais aussi la satisfaction du chef de service d’œuvrer pour la réussite de cette inclusion dans le monde du travail. Au final lorsqu’on regarde l’équipe travailler, il n’y a plus de différence !

Q En quoi consiste le suivi réalisé par l’ESAT ?

Le suivi réalisé par l’ESAT est très structurant. La chargée d’insertion se déplace régulièrement dans les services de la ville pour prévenir les éventuelles difficultés, des évaluations régulières sont faites avec le référent de la personne au sien de la Mairie de manière à réajuster en permanence le cadre du travail si cela s’avère nécessaire.

Q Vous avez été plus loin en intégrant un travailleur mis à disposition au sein des effectifs de la Mairie, favorisant ainsi son passage dans le milieu dit « ordinaire » du travail. Quel a été le processus et les motifs de votre décision ?

Lorsque nous avons eu besoin de renforcer l’effectif, il nous est apparu évident de proposer un contrat à ce travailleur

Nous avons effectivement intégré la personne mise à disposition aux espaces verts depuis maintenant 2 ans. Comme je le disais, l’intégration de cet agent au sein du service a été une réussite. À tel point, que lorsque nous avons eu besoin de renforcer l’effectif, il nous est apparu comme une évidence de proposer un contrat à ce travailleur, qui connaissait déjà l’environnement et qui donnait pleine satisfaction, plutôt que de faire appel à une autre personne. Il a donc été embauché par le biais des contrats aidés et est actuellement en CDD à la Mairie. Notre attention portée à la pérennité des emplois -symbolisée par la décision de notre collectivité de garder en son sein toutes les personnes qui bénéficiaient d’un contrat aidé, et ce malgré leurs disparitions sur le plan national- venait renforcer ce choix.

Q Quelles sont les suites que vous envisagez de donner à ces initiatives ?

Ce que nous pouvons proposer à nos partenaires du secteur protégé et adapté dans un premier temps ce sont des « stages découverte » pour « tester » d’autres métiers, comme des stages en petits travaux et menuiserie ou des stages en entretien des locaux. Nous avons d’ailleurs une personne qui viendra prochainement faire de la restauration dans l’une des cantines scolaires de la ville (mais comme nous sommes en sur-effectif dans ce domaine, nous savons d’ores-et-déjà que nous ne pourrons pas aller au-delà sur cette initiative).

Nous réfléchissons également à multiplier les projets de MAD sur d’autres services comme au Centre Technique Municipal (CTM) pour des travaux de peinture.

Sabine Ferrali, chargée d’insertion à l’ADAPEI

Q Quel est le rôle de la responsable relation entreprise au sein d’un ESAT ?

Mon rôle premier est d’accompagner les personnes travaillant dans l’ESAT vers le milieu ordinaire, en les faisant gagner peu à peu en autonomie. En externe, mon travail consiste également à prospecter et à nouer des liens avec les acteurs de l’économie locale afin de les inclure dans ce projet. Il arrive également que ce soient les entreprises elles-mêmes qui viennent vers nous, notamment si nous travaillons déjà avec eux dans le cadre des prestations que peut offrir l’ESAT. Il s’agit en général de structures qui souhaitent travailler avec le secteur protégé et adapté, dans une logique de responsabilité sociale ou dans le cadre d’une politique d’achat responsable. Un exemple concret : nous avons placé une personne en mise à disposition dans une entreprise parce que nous travaillons déjà avec elle sur une prestation de nettoyage de véhicules. L’entreprise a pris conscience que le volume qu’elle souhaitait nous sous-traiter était propice au détachement d’un travailleur de l’ESAT dans ses locaux à plein-temps.

Accompagner les personnes travaillant dans l’ESAT vers le milieu ordinaire, en les faisant gagner peu à peu en autonomie

La demande peut aussi émaner des usagers (les travailleurs de l’ESAT), lorsque nous définissions ensemble leur projet personnalisé. Il s’agit d’une évaluation sur le travail de la personne, sa vie en général et ses aspirations pour le futur. Parfois cela me donne des pistes pour rechercher des stages ou des mises à disposition en fonction de leur projet, si ceux-ci souhaitent rejoindre le milieu « ordinaire » et s’ils ont déjà des idées du secteur dans lequel ils souhaiteraient travailler. Enfin, il arrive que les usagers sachent directement dans quelle structure ils souhaitent travailler, en fonction de leur propre réseau de connaissance. Pour parvenir à cet objectif d’une autonomie plus grande, nos outils principaux sont « le stage de découverte » puis si l’expérience s’avère positive, le détachement chez le client.

Q Quel est le principe de la mise à disposition ?

La mise à disposition démarre toujours par un stage découverte d’une semaine à 3 mois afin de valider le projet de l’usager, ses appétences et ses capacités. Si tout se passe bien à la fois du côté de la personne et de l’employeur, on propose une mise à disposition chez le client c’est à dire qu’une convention tripartite est signée entre le client, l’ESAT et la personne. Celle-ci est généralement de 6 mois et est renouvelable. Il nous faut également une fiche de poste émise de la part du client afin de bien valider le profil requis et les attentes, et ainsi valider la faisabilité du projet au regard des compétences et des conséquences du handicap des travailleurs que nous pouvons leur proposer.

La mise à disposition est une prestation de l’ESAT à part entière, dite « hors les murs », qui est facturée au client et qui donne lieu à l’émission d’unités bénéficiaires déductibles de la contribution à l’Agefiph dans le privé ou au FIPHFP dans le public. Sur un plan comptable, le travailleur reste rattaché à l’ESAT.

Q Quels sont les enjeux pour l’ESAT et les travailleurs  ?

Il s’agit déjà d’une valorisation de la personne handicapée, ce sont ses premiers pas dans le milieu ordinaire, la découverte de nouvelles capacités personnelles et de compétences qu’ils sont capables d’appliquer. En général cela influe sur la confiance en soi, ils gagnent en autonomie tant au niveau de leur travail que dans les gestes du quotidien. Par exemple, ils se rendent au travail tout seul, ce qui n’était peut-être pas le cas avant.

Pour nous c’est également une victoire, cela indique en quelque sorte que nous avons bien fait notre travail : nous leur avons appris un métier, ils ont été formés mais nous leur avons également transmis des savoir-être et des gestes au quotidien qui n’allaient pas toujours de soi.

D’un autre point de vue cela libère des places au sein de l’ESAT, puisque le nombre de personnes accueillies est limité (d’ailleurs, il existe une liste d’attente). Pour entrer en ESAT, il faut une orientation de la MDPH qui évalue les conséquences du handicap et la capacité de travail de la personne. Lorsque des usagers rejoignent le milieu ordinaire parce qu’ils y sont prêts, cela permet l’accueil de nouvelles personnes plus fragiles pour qui demeurent un besoin d’accompagnement plus grand.

Q Faites-vous beaucoup de contrats de ce type et sur quels types de prestations  ?

Des stages, nous en faisons environ une dizaine par an qui peuvent durer jusqu’à 2 ou 3 mois. En revanche, tous ne débouchent pas sur une mise à disposition. Mais cela reste des expériences indispensables pour nos usagers car elles leur permettent de monter en compétence et de se familiariser – ou de se réhabituer- au travail en dehors de l’ESAT. Ces stages agissent comme de véritables formations.

Actuellement nous avons 6 personnes en MAD sur des prestations diverses (pas toujours manuelles), aussi bien dans le secteur privé que public : accueil et le secrétariat en agence immobilière, entretien de la voirie à la Mairie, prestation de lavage de véhicules de location, cuisine, accueil et tenue du standard dans un IME... Auparavant, nous avons également eu d’autres personnes en MAD sur d’autres types de poste comme magasinier.

Q En quoi consiste le suivi apporté par l’ESAT  ?

Même si les personnes ne travaillent plus au sein de l’ESAT, nous continuons à les soutenir (cependant il est parfois prévu quelques journées ou demi-journées à l’ESAT dans leur semaine, à côté de leur contrat de MAD). Ainsi j’accompagne les usagers durant toute la durée de leur mise à disposition. Nous vérifions si elles sont bien reçues, si elles sont respectées et si elles répondent bien aux attentes du client.

Nous définissons un référent au sein des structures qui reçoivent l’usager puis nous travaillons en étroite collaboration avec lui. Il peut s’agir du chef de service, du chef d’atelier, en général le responsable direct.

Je fais systématiquement une petite sensibilisation de l’équipe accueillante et leur donne des clefs de compréhension

Je suis alertée dès qu’un problème survient comme une absence, un retard, un changement d’humeur. Je suis également en contact permanent avec les usagers, pour répondre à leurs questions ou les soutenir s’ils rencontrent des difficultés.

Je passe régulièrement les voir. Nous faisons des évaluations tous les 6 mois avec le référent. Enfin, quand les usagers démarrent sur un poste, je les accompagne pour les présenter aux équipes et à l’entreprise. Je fais systématiquement une petite sensibilisation de l’équipe accueillante et leur donne des clefs de compréhension pour aborder sainement la relation avec leur nouveau co-équipier.

En général je les accompagne également le premier jour de stage, ainsi que la semaine qui suit en fonction des besoins constatés.

Propos recueillis par François Le Saux-Mari

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