Le télétravail comme mesure de compensation du handicap
Témoignage de Mme Santoni, Technicienne Supérieure Hospitalier à l’hôpital de Castelluccio
Pouvez-vous présenter vos fonctions au sein de l’hôpital ?
Je suis technicienne supérieure hospitalier occupant un poste de contrôleuse de gestion à l’hôpital de Castelluccio. C’est un travail que j’effectue principalement sur ordinateur, et qui consiste à recueillir toutes les données de l’établissement, pour évaluer les coûts de l’ensemble des activités de l’hôpital. Je collecte donc les informations pertinentes et construis divers documents comme les tableaux de bord, le compte de résultat, puis je les restitue lors de diverses réunions aux différentes directions, aux médecins chefs de pôles et aux cadres de santé évidemment.
Vous êtes reconnue travailleuse handicapée. Quelles en sont les conséquences quant à la tenue de votre poste ?
Suite à une arthrose dégénérative invalidante, je n’avais plus de disques et mes vertèbres étaient creuses. J’ai donc subi trois opérations (greffe des disques de S1 à L5, arthrodèse de S1 à D9 puis fusion au niveau des cervicales C5, C6, C7 avec prothèse discale en C5). J’ai des tiges qui maintiennent ma colonne vertébrale et deux vis par vertèbre qui fixent ces tiges. Je ne peux plus me courber, me tourner ni à gauche ni à droite, j’ai la colonne vertébrale complètement fixe. J’ai des problèmes d’équilibre par rapport à cette rectitude et la perte de toute sensibilité de ma jambe gauche et je me déplace avec une canne.
Par conséquent, je ne peux pas rester assisse longtemps, ce qui est ma principale difficulté dans mon travail au quotidien. Je ne peux plus rester assise 8 heures dans un bureau. Si j’y arrive 3/4 d’heure, c’est déjà un exploit pour moi.
J’ai été en arrêt de longue maladie pendant 3 ans suite à mon opération à la Timone à Marseille, j’ai dû réapprendre à me lever, me coucher, m’asseoir, à marcher, à monter des escaliers, ma vie a complètement été bouleversée. Je suis partie dans un centre de rééducation spécialisé sur Marseille où on m’a enseigné comment vivre différemment. Puis je suis rentrée en Corse.
Je dois continuer la rééducation toute ma vie, car seules mes jambes doivent compenser ce que mon dos bloqué ne peut plus faire. Je ne peux évidemment plus porter de charge non plus. Au quotidien, j’ai une aide humaine qui me fait mes courses et qui vient pour m’aider à nettoyer mon domicile, je ne peux pas me courber pour nettoyer une baignoire par exemple. Il est difficile d’imaginer les simples gestes de la vie comme se chausser, s’habiller ou se laver en ayant un dos complètement raide.
La MPDH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) a reconnu mon handicap sur un taux de 80% et m’a attribué une aide humaine pour ma vie quotidienne. On m’a proposé une retraite pour invalidité mais ce n’est pas ce que je souhaitais car j’ai un fils qui vient d’avoir 18 ans et qui est parti faire ses études à Toulouse. Etant veuve, je suis seule à assumer le côté financier de notre vie et je ne pouvais pas me permettre de n’avoir qu’un salaire de réforme.
Vous avez donc repris le travail. Quels sont les moyens de compensation qui ont été mis en place pour vous permettre de continuer à exercer votre emploi ?
En effet, je voulais vraiment reprendre le travail, alors la MDPH m’a orientée vers Cap Emploi. J’ai été agréablement reçue, dirigée, aidée et conseillée. C’est véritablement grâce à eux que tout s’est mis en place. Mon médecin avait demandé un télétravail car je ne pouvais évidemment pas passer 8h au bureau. Un ergothérapeute missionné par Cap Emploi est venu chez moi, Monsieur Picot, et après analyse de la situation, a prescrit tout le matériel nécessaire pour que je puisse travailler correctement.
Côté hôpital, on m’a également aménagé un bureau en rez-de-chaussée que j’utilise pour faire mes réunions, recevoir, ranger mes dossiers etc… On m’a installé un fauteuil spécial adapté à ma colonne vertébrale.
A mon domicile, le matériel comprend un bureau à hauteur variable à élévation électrique pour que je puisse travailler en alternant les positions debout et assise, un fauteuil spécial (le même qu’à l’hôpital) et divers éléments comme une souris adaptée qui me permet de ménager mes cervicales, un repose pied, un support-copie, un écran à hauteur adapté et un repose bras pour soulager les membres supérieurs., le tout financé par le FIPHFP (Fonds pour l’Intégration des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique).
Je suis également équipée d’un logiciel de dictée vocale pour limiter les postures contraignantes et les mouvements de bras liés à l’écriture sur clavier.
Mais mon accompagnement ne s’est pas arrêté là : lorsque tout ce matériel a été livré, Monsieur Picot est revenu à mon domicile pour régler le matériel en fonction de mon handicap physique. Il en a été de même pour mon bureau à l’hôpital.
A partir de là, J’ai pu reprendre mon travail à temps complet : 4 jours à domicile et 1 jour à l’hôpital. En accord avec le médecin du travail, la Direction a accepté de diviser ce temps en demi-journées. Mes horaires sont totalement adaptés, ce qui était nécessaire étant donné qu’une kinésithérapeute vient à mon domicile tous les matins. Je peux ainsi gérer mon temps de travail de manière efficace et autonome en prenant en compte les contraintes liées à mon handicap.
Vous semblez satisfaite de l’accompagnement qui vous a été fourni. Y-a-t-il tout de même des points d’amélioration à prendre en compte ?
Tout cela a été long à se mettre en place, particulièrement concernant la reconnaissance de mon handicap qui a pris un an. Les démarches administratives prennent du temps. C‘était assez dur car je ne pouvais pas à imaginer tout ce qui allait se passer à la suite de mes opérations concernant ma reprise de travail. Mais à partir du moment ou j’ai été prise en charge par Cap Emploi tout s’est déroulé pour le mieux.
J’ai même eu un accompagnement psychologique à la reprise du travail prescrit par Cap Emploi et réalisé par l’association ISATIS pour m’aider à accepter les changements dans ma vie et ma nouvelle situation. Le suivi a commencé pendant ma période d’arrêt et s’est poursuivi après ma reprise du travail.
Ce nouveau rythme et ces nouvelles contraintes ont-elles eu des conséquences au niveau de votre intégration – ou réintégration – à l’hôpital, dans la relation avec vos collègues de travail par exemple ?
Mon domicile est sur le site de l’hôpital à l’internat, ce qui fait que je suis en permanence dans l’hôpital (il ne s’agit pas là d’un aménagement spécifique, c’était déjà le cas auparavant car j’effectuais des gardes administratives). C’est sûr que cela a arrangé beaucoup de choses, même pour certains aspects techniques comme les connexions internet. De plus, mon bureau est à moins de 100 mètres de mon domicile, ce qui limite mes déplacements et me permet de m’y rendre à pied juste avec ma canne (même si je peux conduire avec une voiture adaptée).
Lorsque j’ai été absente pendant 3 ans, la Direction a embauché une personne pour me remplacer qui a par la suite été intégrée à l’hôpital. De toute manière, il y avait bien assez de travail pour deux et je n’aurais pas pu continuer à assumer le même rythme qu’auparavant. Tous les après-midis ma collègue vient chez moi et nous travaillons ensemble. Nous présentons également nos travaux lors des réunions que nous organisons ensemble, ce qui facilite énormément les choses.
Comme je vous l’expliquais au début, j’ai aussi des relations régulières avec les différentes directions, les médecins et les cadres de santé. Je ne me sens donc pas isolée, loin s’en faut, je dirais même que j’ai retrouvé une vie sociale satisfaisante.
Propos recueillis par François Le Saux – Mari, chef de projet Handi-Pacte Corse